La désoccupation de la Crimée et son retour à la souveraineté de l'Ukraine est un puissant impératif moral pour la communauté internationale.
Il a y cinq ans la Russie a occupé la Crimée ukrainienne. En février 2014, Moscou, pour la première fois de l'histoire de l'Europe d'après-guerre, s'est emparée d'une partie du territoire d'un autre État souverain, déstabilisant ainsi le système de sécurité européen et mondial.
Ensuite, le monde a pratiquement unanimement condamné l'annexion de la Crimée par la Russie et depuis lors sa position restait constante, bien que le Kremlin soit convaincu que la Crimée lui sera pardonnée bientôt, ainsi que la Géorgie en 2008.
Tous les politiciens, analystes et avocats intelligents approuvent que Moscou a commis une violation flagrante du droit international. Personne ne doute que, d'un point de vue juridique, la Crimée appartient à l'Ukraine. Et cela, bien sûr, est très important.
Mais dans le même temps, beaucoup de gens dans le monde croient que l'action de Poutine pourrait être comprise, car, comme ils l'ont entendu dire quelque part, "la Crimée a toujours été russe".
Il est difficile de trouver un mythe plus absurde et moins bien fondé, mais étrangement, il s'est profondément enraciné dans le monde et a pu pénétrer la conscience de masse internationale.
La raison en est évidemment que la propagande russe a commencé à lancer lentement cette désinformation dès la chute pacifique de l'URSS, alors que la guerre n'était même pas envisageable. Mais lorsque la guerre a éclaté, l'opinion internationale "non officielle" était déjà traitée.
Dans cet article, je voudrais présenter des faits historiques qui démentent ce mythe et la vérité dont vous pouvez vérifier sur Wikipedia ou dans toute autre source objective.
Alors, en quoi consistent les faits.
Les Tatars de Crimée, qui ont fondé leur propre état du Khanat de Crimée, sont des peuples autochtones de Crimée. En outre, c'était un État musulman fort et très cultivé. Quant aux Russes, ils n'existaient tout simplement pas sur la péninsule, si ce n'est pour prendre en compte les prisonniers de guerre.
Au début du XVIIIe siècle, grâce aux réformes de Pierre le Grand, la Moscovie devient un Empire russe, se fortifiant et conquérant des pays européens voisins.
Il a conquis l'Estonie et la Lettonie en 1721, la Lituanie et une partie de la Pologne, y compris Varsovie –en 1795, la Finlande- en 1809. Aujourd'hui ce sont des États souverains, membres des Nations Unies, de l'Union européenne et de l'OTAN (à l'exception de la Finlande). Et il est peu probable que quelqu'un ose dire qu'ils "ont toujours été russes".
Le khanat de Crimée a été inclus dans la liste des États conquis par Moscou en 1783, ce qui est relativement récent d'un point de vue historique. Alors, ce serait une pure absurdité de parler d'une sorte d'appartenance de toute éternité de la Crimée à la Russie. C'est tout simplement l'un des pays, l'un des peuples, qu'à l'époque l'Empire russe a asservi par la force des armes.
La seule différence entre la Crimée et les autres États mentionnés ci-dessus c'est qu'après l'effondrement de l'Empire russe en 1917 les Tatars n'ont pas réussi à défendre leur indépendance. La Crimée, comme l'Ukraine, a été capturée par les bolcheviks et elle est restée au sein même de l'empire russe, déjà sous le nom d'URSS.
Cependant, dans le cadre de l'Union soviétique la Crimée a eu même "moins de la chance" que l'Ukraine. Si l'Ukraine est devenue "une République de l'Union" dotée des caractéristiques formelles de la souveraineté de l'État, en 1921 Moscou des bolcheviks n'a accordé à la Crimée que le statut d'autonomie et même pas au sein de la République ukrainienne de l'Union mais de la République russe.
Une telle décision du Kremlin allait clairement à l'encontre de la réalité objective, car géographiquement la péninsule de Crimée fait partie de l'Ukraine et elle n'a aucun lien territorial avec la Russie. En termes d'attachement territorial à l'Ukraine cette affiliation administrative avec la Russie a compliqué considérablement le développement économique de la péninsule dont l'approvisionnement a été presque entièrement assuré à partir de l'Ukraine.
La situation a été corrigée par Moscou lui-même, qui a finalement été contraint de reconnaître les réalités géographiques et géo-économiques. En 1954 le Kremlin a initié le transfert de la Crimée de la République russe à la République ukrainienne. (Le Kremlin ne pouvait même pas imaginer qu'un jour l'Ukraine deviendrait indépendante. Donc, les autorités de l'URSS considéraient tout de même la Crimée, ainsi que toute l'Ukraine, comme des territoires russes).
Je tiens surtout à souligner: le transfert de la Crimée s'est déroulé en pleine conformité et dans le respect rigoureux des lois et des procédures de l'URSS. Le mini-mythe russe selon lequel la Crimée a été offerte à l'Ukraine par un stupide Khrouchtchev de sa propre autorité est une fiction vulgaire. En 1954, M.Khrouchtchev n'avait pas encore eu assez de pouvoir pour une telle action arbitraire.
Eh bien, nous nous sommes approchés de la compréhension de ce que la formule magique "La Crimée a toujours été russe" signifie en réalité. Il s'avère qu'il ne s'agit même pas de quelque 150 ans de prison dans l'Empire russe (1783-1917), car de telles affirmations auraient alors pu être appliquées au reste des anciennes colonies, actuellement des États indépendants. On estime décisif, dans ce cas-là, le fait que la Crimée faisait partie intégrante de la République soviétique russe de 1921 à 1954, soit seulement 33 ans de l'histoire récente!
Il semble que depuis l'effondrement de l'Union soviétique, les dirigeants russes s'exaspéraient d'une seule pensée que s'il n'y avait pas eu d'année 1954, la Crimée serait restée en Russie. En même temps, ils ne s'inquiétaient pas de ce que s'il n'y avait pas eu d'année 1921, la péninsule aurait fait partie intégrante de l'Ukraine, et, s'il n'y avait pas eu d'année 1783, elle aurait même pu être un État indépendant avec 0% de la population russe.
Et voilà qu'en 2014, quand une désinvolture impériale a pris le dessus, le Kremlin a procédé à une invasion tout à fait criminelle de la Crimée, se moquant du droit international, de la logique historique et de toute équité.
En guise d'anecdote, je vous présente un autre mini-mythe russe sur la Crimée qui a été lancé par le président russe lui-même en 2014. Il a déclaré que "pour la Russie, la Crimée avait une signification sacrée et qu'il y existait justement une source spirituelle à la formation de la nation et de l'État russes", parce que c'est en Crimée que le prince Volodymyr avait adopté le Christianisme et ensuite baptisé toute la Russie.
Le prince Volodymyr avait en effet été christianisé en Crimée en 988 (selon la Chronique, du moins) et, la même année, il avait baptisé son État. Cependant, il était un prince kyivien, pas moscovien, et c'est la Rus' de Kyiv qu'il avait baptisée, pas la Russie. Quant à Moscou, la Russie et l'ethnie russe, à cette époque-là, elles n'existaient tout simplement pas. A l'époque, à l'endroit ou se trouve actuellement Moscou, c'étaient des forêts ou dominaient les tribus finno-ougriennes.
Encore une fois, une absurdité! Néanmoins, même un tel mensonge historique maladroit est en train d'être lancé dans l'espace international de l'information. Comme toujours, on comptait sur le fait que personne ne consulterait Wikipedia.
Cependant, le mythe de la "Crimée russe" a été construit, malheureusement, non seulement sur de fausses propagations mais sur des distorsions absurdes de l'histoire. En mai 1944, Moscou a effectué une opération criminelle à grande échelle visant à éliminer complètement la Crimée du peuple autochtone et à le remplacer par des russes ethniques.
Le régime stalinien a accusé le peuple tatar de collaborationnisme avec les hitlériens, qui occupaient la Crimée de 1941 au 1944 et l'ensemble des 191 mille Tatars de Crimée, y compris les nourrissons, ont été emmenés durant deux jours dans les régions asiatiques isolées de l'URSS. Le fait que le Kremlin avait besoin d'un nettoyage ethnique et les accusations de trahison n'étaient qu'un prétexte, en témoigne également l'expulsion des familles de 9 mille Tatars-soldats de l'Armée rouge, qui se battaient alors sur le front contre les nazis. Par la suite, ces soldats eux-mêmes ont été aussi exilés. En outre, après les Tatars, d'autres groupes ethniques ont été emportés: Grecs, Bulgares et Arméniens, qui vivaient sur la péninsule depuis des siècles et que personne n'aurait accusés de trahison. Sur la péninsule, il ne restait que des Slaves, c'est-à-dire des Russes et des Ukrainiens locaux.
Après cela, la réinstallation massive du peuple de la campagne russe en Crimée a commencé. Ils se sont installés dans 80 mille maisons vides, qui sont restées le peuple autochtone exilé. Ce sont les descendants de ces colons russes qui constituent à présent la base de la partie de la population de Crimée qui soutient l'annexion de la Crimée par la Russie et à la volonté de laquelle le Kremlin aime tant se référer.
Moscou jusqu'au dernier empêchait les Tatars de Crimée de retourner dans leur patrie. Leur répartition de masse n'a commencé qu'avec l'indépendance de l'Ukraine. C'est l'Ukraine qui a pris en charge tous les coûts et toute l'organisation de l'installation d'un peuple entier. Jusqu'en 2013, 266 mille Tatars sont retournés dans leur patrie, ce qui représentait 13,7% de la population de la péninsule.
L'occupation de la Russie en 2014 est devenue une véritable catastrophe nationale pour les Tatars de Crimée. Ils se sont échappés du Goulag, mais le Goulag est revenu sur leur terre natale. Par conséquent, pratiquement tous les Tatars de Crimée s'opposent aux envahisseurs russes et restent fidèles à l'Ukraine. C'est précisément pour cette raison que les Tatars de Crimée sont devenus aujourd'hui les principales victimes de la persécution et de la répression de la part des envahisseurs. Jusqu'à 25.000 Tatars ont été forcés de quitter la Crimée et d'émigrer en Ukraine continentale. Le Kremlin a interdit le Mejlis, le Parlement national des Tatars de Crimée; les médias tatares, l'éducation, la culture et la religion sont harcelés; des dizaines de patriotes sont jetés en prison. Ainsi, en décembre 2018, lors de son entrée en Crimée, les occupants ont arrêté M.Eden Bekirov, personne publique tatare, qui souhaitait rendre visite à sa mère âgée de 78 ans. M. Bekirov est une personne gravement handicapée. Il souffre de diabète grave, il a une jambe amputée et 4 shunts au cœur après l'infarctus de l'année dernière. Rester en détention sans médicaments et soins médicaux nécessaires est pratiquement une peine de mort. Néanmoins, la "justice" russe le maintient en état d'arrestation. Et ils l'accusent d'avoir prétendument eu l'intention de remettre un sac de 15 kilogrammes d'explosifs, bien que sa santé ne lui ait pas permis de soulever deux kilos. Une franche absurdité des accusations et une poursuite insolente de la tyrannie légale montrent que la machine répressive russe tente d'intimider et de démoraliser les Tatars de Crimée.
Je voudrais noter que les victimes des répressions ne sont pas seulement les Tatars de Crimée. Le monde entier connaît déjà le nom d'un réalisateur de film illégalement emprisonné, d'un Russe ethnique et d'un véritable patriote ukrainien, M. Oleg Sentsov, qui a ouvertement protesté contre l'annexion de la Crimée. M. Volodymyr Baluch, d'origine ukrainienne, jeté derrière les barreaux pour avoir hissé le drapeau ukrainien au-dessus de son domicile en Crimée occupée, lui aussi est devenu un symbole de courage. Comme vous pouvez le constater, des citoyens honnêtes et courageux de Crimée, sans distinction de nationalité, protestent et luttent contre la saisie brutale de leurs terres par des envahisseurs russes. Les violations des droits de l'homme et des droits nationaux commises par Moscou sur la péninsule ont été maintes fois condamnées par les Nations Unies et d'autres organisations internationales. Mais je suis convaincu que la communauté internationale devrait tripler ses efforts pour la libération immédiate des prisonniers politiques.
Comme nous le voyons, le crime actuel contre le peuple tatare de Crimée est une extension directe du crime de 1944, entré dans l'histoire du monde sous le nom de "déportation", définition qui est utilisée aujourd'hui par tous les spécialistes, les hommes politiques et les journalistes. Cependant, ce terme en soi est en réalité un euphémisme politique qui donne une image erronée et atténuée de la réalité. Les faits indiquent que juste au cours des quatre premières années d'exil, 46,2% des Tatars de Crimée sont morts en raison de conditions de vie extrêmement difficiles. Et ce n'est pas simplement une déportation, c'est un véritable génocide. Dû à la substitution des notions, le génocide des Tatars de Crimée, comme à une époque l'Holodomor ukrainien, a disparu de la mémoire historique de l'humanité et, il faut l'avouer, c'est encore une victoire pour la propagande russo-soviétique.
En conséquence, le mythe que "la Crimée a toujours été russe", est également nécessaire à Moscou pour préserver ses résultats du génocide des Tatars de Crimée et le peuplement de la péninsule, à leur place, par des colonistes russes. C'est également l'un des principaux objectifs de l'annexion actuelle de la Crimée.
Ainsi, la désoccupation de la Crimée et son retour à la souveraineté de l'Ukraine, en plus des aspects politiques et juridiques, sont un puissant impératif moral. La communauté internationale n'a pas le droit de permettre à un génocide "d'être justifié" et à ceux qui l'ont commis d'atteindre leur objectif, même après de nombreuses décennies.
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