top of page
Photo du rédacteurMario Salis

Les « petits hommes verts »


Les éléments qui accréditent l'intervention de soldats russes en Ukraine

L'implication de longue date de Moscou dans l'est de l'Ukraine est en train de se muer en guerre frontale avec Kiev.

Par Benoît Vitkine

Publié le 28 août 2014 à 10h59, modifié le 28 août 2014 à 20h51

Temps de Lecture 6 min.

  • Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections

  • Partager Partager

  • Partager sur Twitter

  • Partager sur Messenger

  • Partager sur Facebook

  • Envoyer par e-mail

  • Partager sur Linkedin

  • Copier le lien

Des soldats russes capturés en territoire ukrainien, mercredi 27 août, à Kiev. REUTERS/VALENTYN OGIRENKO

« Derrière les forces d'autodéfense de Crimée, bien sûr, se trouvaient nos militaires. » Le 17 avril, un mois après le rattachement de la péninsule ukrainienne à la Fédération de Russie, Vladimir Poutine reconnaissait dans un haussement d'épaules, au détour d'une interview télévisée, ce qu'il avait toujours nié : les mystérieux soldats sans insigne qui avaient pris possession du territoire deux mois auparavant étaient russes. « Ils se sont comportés de manière très correcte », précisait le président russe.

Les « petits hommes verts » – comme les Ukrainiens avaient ironiquement surnommé ces soldats, sont de retour en Ukraine. En Crimée, leur seule présence avait suffi à chasser l'armée ukrainienne de ses bases. Dans le Donbass, ils font la guerre, meurent ou sont blessés, parfois faits prisonniers. Des indices observables aussi bien sur le théâtre ukrainien que dans les provinces reculées de Russie permettent d'affirmer que l'implication de longue date de Moscou dans l'est de l'Ukraine est en train de se muer en guerre directe contre Kiev.

« 3 000 À 4 000 SOLDATS » RUSSES PARMI LES INSURGÉS

Jeudi 28 août au matin, le chef des séparatistes de Donetsk, Alexandre Zakhartchenko, a reconnu que « 3 000 à 4 000 soldats » russes servaient dans les rangs des insurgés. « Parmi nous se trouvent des soldats, qui, plutôt que de passer leurs permissions sur les plages, nous ont rejoints, et qui combattent pour la liberté de leurs frères », s'est-il empressé d'ajouter.

A Pskov, dans le nord de la Russie, on enterre en secret des parachutistes d'unités régulières de l'armée, sans que le lieu et les conditions de leur mort ne soient dévoilés à leur famille. Le secret est difficile à garder, mais tous les moyens sont bons. Une équipe de la télévision russe Dojd a été agressée à la sortie du cimetière de la ville par des hommes en survêtement.

Le Monde Application La Matinale du Monde Chaque matin, retrouvez notre sélection de 20 articles à ne pas manquer Télécharger l'application

A Kostroma, à 300 km au nord-est de Moscou, un petit groupe de femmes s'est réuni, mercredi, pour demander des explications sur le sort de leurs fils et maris. La scène a été filmée : l'une d'elles, les yeux rougis, s'adresse directement à Vladimir Poutine : « Je vous en supplie, rendez-moi mon fils, rendez-le moi vivant. » Le fils se nomme Egor Potchtoev. Sa capture a été rendue publique lundi par l'armée ukrainienne, qui a diffusé les témoignages filmés de dix soldats russes qu'elle dit avoir faits prisonniers. Les hommes expliquent ne pas avoir été prévenus qu'ils étaient envoyés au front en Ukraine. « J'ai compris que nous étions dans une zone de guerre quand mon blindé a été bombardé », dit l'un d'eux.

Moscou a expliqué que ces soldats s'étaient retrouvés en territoire ukrainien « par erreur ». Ils ont été capturés près du village de Dzerkalny, dans la région de Louhansk. Des témoignages recueillis par l'agence de presse Reuters indiquent qu'une unité entière, composée de plusieurs dizaines de soldats sans insigne, est stationnée à sept kilomètres de là. Leurs uniformes sont les mêmes que ceux des prisonniers exhibés par Kiev, les numéros d'identification de leurs véhicules ont été recouverts de peinture blanche.

« AFFAIRE INTÉRIEURE UKRAINIENNE »

Combien de soldats russes combattent en Ukraine ? Impossible de le savoir. Là encore, seuls des éléments parcellaires permettent de saisir l'ampleur de l'intervention russe. Le Comité des mères de soldats de Saint-Pétersbourg assure que 100 militaires sont soignés dans les hôpitaux de la ville. Le comité de Stavropol a dressé une liste – qu'il reconnaît « incomplète » – de 400 tués ou blessés à travers toute la Russie.

La réapparition dans le paysage des comités de mères de soldats, une institution respectée des Russes, a semé le trouble dans le pays. Leur nom même évoque les années 1990, les guerres sales et meurtrières de Tchétchénie, au cours desquelles elles étaient particulièrement actives. Dans un éditorial, le quotidien Vedomosti demandait mercredi : « Sommes-nous en guerre en Ukraine ? Si oui, sur quelles bases ? Si non, qui repose dans les tombes fraîchement creusées dans les cimetières militaires ? » Plus loin, le journal met en garde : « Le silence et les commentaires vaseux des institutions officielles ne font qu'engendrer un climat de suspicion, en rappelant les moments désagréables de l'histoire russe et soviétique. »

Mardi, à Minsk, où il venait de rencontrer son homologue ukrainien Petro Porochenko, Vladimir Poutine a répété la position officielle russe : Moscou, uniquement préoccupé du sort des « populations russophones », n'a pas les moyens de peser sur ce qui n'est qu'une « affaire intérieure ukrainienne ». La mort de simples soldats dans les plaines du Donbass – et plus seulement de volontaires ou de membres des forces spéciales – risque de rendre cette position difficilement tenable auprès de son opinion publique.

La pression internationale est elle aussi montée d'un cran ces derniers jours. Jeudi matin, l'ambassadeur américain à Kiev a affirmé que la Russie était désormais « directement impliquée » dans les combats. Côté européen, la chancelière allemande Angela Merkel a demandé mercredi à M. Poutine, lors d'une conversation téléphonique, des « explications » sur les informations faisant état de la présence de troupes russes sur le sol ukrainien. Dans son discours aux ambassadeurs prononcé jeudi, François Hollande a estimé que la présence de soldats russes « serait intolérable et inacceptable ».

Jusqu'à présent, les mises en garde occidentales n'ont pas infléchi la position du Kremlin. Pendant que l'Europe passait progressivement du niveau 1 de ses sanctions aux niveaux 2 et 3, Moscou n'a fait qu'accentuer son soutien aux forces séparatistes, livrant armes et blindés en quantités toujours plus importantes.

CHUTE DE NOVOAZOVSK

Ces derniers jours, l'implication russe n'a pas seulement changé de nature, elle a aussi changé d'ampleur. Le New York Times citait mercredi des sources au sein du renseignement américain faisant état, photos satellites à l'appui, de mouvements massifs de blindés et de pièces d'artillerie en provenance de Russie. Kiev alerte depuis plusieurs jours sur ces nouvelles incursions, allant jusqu'à évoquer, mercredi, une colonne de cent véhicules faisant route vers le sud de la région de Donetsk. Ce chiffre ne peut être vérifié, et rien ne dit que l'armée ukrainienne ne l'amplifie pas pour mieux faire passer dans l'opinion ukrainienne ses derniers revers sur le terrain.

Quel est l'objectif de Moscou ? L'arrivée des renforts russes a d'ores et déjà permis de desserrer l'étau autour de Donetsk, la capitale des séparatistes. Mais l'ouverture d'un nouveau front, sur la côte de la mer d'Azov, fait réapparaître le spectre d'une jonction entre la rébellion et les forces russes présentes en Crimée. Il pourrait aussi s'agir d'une offensive limitée, ponctuelle, permettant un « rééquilibrage » des forces sur le terrain et la garantie que le conflit s'enlise encore pour de nombreux mois.

Cet objectif est très largement atteint. Après avoir engrangé des succès tout au long de l'été, les forces de Kiev ont subi la semaine passée de sérieux revers. Ces dernières vingt-quatre heures, les journalistes présents dans l'Est ukrainien ont vu des unités de l'armée en déroute, des positions abandonnées précipitamment, armes et matériel compris. Jeudi matin, la chute de la ville de Novoazovsk, à dix kilomètres de la frontière russe, sur la côte de la mer d'Azov, semblait avérée.

Ces nouvelles ont provoqué un vent de panique à Kiev. Le gouvernement a déclaré attendre une « aide pratique » et des « décisions cruciales » de la part de l'OTAN. « Nous avons besoin d'aide », a résumé le premier ministre, Arseni Iatseniouk.


Benoît Vitkine

0 vue0 commentaire

Comments


bottom of page